Oui, oui, un instant. Je comprends bien votre impatience car en toute honnêteté, rien n’ayant marché comme prévu, vous ne voyez pas où je veux en venir, mais je vous avais averti que ce récit est long. Déjà, je me dois de vous expliquer certains détails qui vous permettront de mieux comprendre tout un tas de chose. Vous ai-je parlé de mon frère ? Imaginez ce que la bonne société anglaise croit qu’une jeune femme doit être. Eh bien vous avez une idée de qui est Edward. Non, je ne dis pas qu’il est efféminé, je ne vois pas les choses de cette manière mais disons qu’il avait plus d’intérêt pour les vêtements que pour tout autre choses. Disons qu’il n’en a pas fait commerce uniquement pour faire fortune. Mon frère voit l’habillement comme une sorte de science, de philosophie et de mode vie. Oui, évidement, je ris. Si vous voyiez votre tête vous ririez aussi. Allez-y, dites que vous pensez que je faisais son désespoir car en vérité, les « frivolités » ne m’ont jamais intéressé, c’est un fait. Bref, Edward avait un commerce de costume de luxe à New York. Oui, c’est important car c’est là que tout à commencé. Mr William Blackstone avait un message à nous faire parvenir, voyez-vous et il contacté le membre de la famille le plus aisé à contacté sur le sol américain.

 

Mon cher oncle Walter venait de mourir dans des circonstances que je n’allais pas tarder à trouver suspectes (oui, je vous promets que j’y reviendrai), voyez-vous, et Mr Blackstone, son filleul et ami fut donc chargé par un avocat de contacter sa famille. Un homme intéressant, ce Blackstone. Oui, il est bien métis. Son père était un planteur, un esclavagiste. Un jour, il tomba amoureux d’une de ses esclaves. C’était un ami de mon oncle. Ce dernier le convainquit de vivre son amour au grand jour et de cette union est né William. Ce dernier est très éduqué (bien qu’à mon sens il manque quelque peu d’esprit scientifique) et est devenu avocat, affichant ses origines, dont il avait, je pense, le droit d’être fier, quoi qu’il en coûte. Bref, Mr Blackstone se présenta chez Will Scarlett (le nom d’emprunt qu’Eddie utilise pour son commerce) porteur de cette effroyable nouvelle. Mon frère envisageait alors de rentrer en Angleterre et décida donc d’avancer ce voyage pour être auprès de nous lorsque nous serions informés de cette tragédie.

 

Nous fûmes incroyablement surpris de cette visite. Eddie n’est pas un correspondant de qualité, si vous voyez ce que je veux dire. Donc, nous n’avions aucune idée du fait qu’il envisageait de rentrer. Sans compter qu’il y avait une autre nouvelle, corrélée à la première. J’étais une des héritières de mon oncle. Oui, vous entendez bien. Il me léguait son ranch. Non, je ne suis pas l’aînée. Et de toute façon, vous n’êtes sûrement pas sans savoir que chez nous, en Angleterre, ce sont généralement les hommes qui héritent des terres. Déjà, à ce moment là, il n’était pas question pour moi de vendre. Cet endroit avait eu une valeur sentimentale pour mon oncle, c’était là où il avait vécu avec M’Runa. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, je suis une émotive, même si je sais feindre le contraire. Et là, si mon père afficha sa peine, je vous avoue que je tentais de faire face (pour être honnête, je réussi à faire face entre le bureau et mon atelier où je fondis en larme sans autre forme de procès).

 

 

Ce jour là, je reçu la visite d’Oliver. Oui, oui, le gamin qui travaille pour moi. Il refuse de passer par l’entrée, il a peur de Jaspers. Alors, il entre par le soupirail de mon atelier. Globalement, son travail consiste à me trouver des matériaux pour mes recherches et à porter des messages. Et aussi souvent que possible, je l’envoie aux cuisines pour qu’Elizabeth le nourrisse un peu plus qu’il ne le fait de lui-même. Si ça n’avait tenu qu’à moi, je vous avoue que j’aurais obligé ce garçon à habiter à la maison. Oui, d’une certaine manière, je le considère un peu comme un petit frère. D’ailleurs, avec un peu de chance, un jour, il épousera Marian, je pense que même elle l’envisage déjà plus ou moins. Et ce que Marian veut… Croyez-le où non, le gamin rêvait de partir en Amérique. Je ne vous cache pas que c’est une des raisons qui m’a poussé à partir. Ce garçon n’avait pas vraiment d’avenir en Angleterre, vous voyez ? Et il avait réellement besoin d’une bonne prise en main. Il est intelligent et je voulais vraiment qu’il devienne mon apprenti.

 

 

Pendant ce temps, notre père faisait part des ses doutes à mon frère. Vous dites ? Ah. Eh bien, concernant la mort d’oncle Walt. Il comptait envoyer quelqu’un sur place. Mon frère proposa alors de trouver quelqu’un de confiance car, en effet, il ne souhaitait pas repartir trop vite. Evidemment, ni l’un ni l’autre ne savait que ma décision était déjà prise.

 

 

Oh, oui, j’ai failli oublier de vous parler de ça. C’est en effet le même jour qu’Edward a annoncé à mon père qu’il comptait épouser Suzan. Excusez ce fou rire, penser à Suzan provoque toujours mon hilarité. Non, je ne la déteste pas. Disons qu’il est possible qu’il n’existe pas deux femmes plus différentes l’une de l’autre que Suzan et moi. Et vous savez le pire ? Dans toute cette histoire, j’étais persuadé que si quelqu’un ne risquait rien, c’était bien Suzan. Elle s’aime beaucoup trop pour se mettre en danger, vous voyez ? C’était une amie d’enfance, d’une condition sociale bien inférieure à la notre, mais, et pour cela, je suis très fière de ma famille, nous n’avons jamais accordé d’importance à ce genre de détail. Bref, mon frère l’aimait Oui, oui, sûrement autant qu’elle s’aime, ce qui à mon humble avis, relève de l’exploit. Il avait, disait-il, correspondu avec elle toute ces années... Et en toute honnêteté, leurs deux âmes futiles étaient certainement faites l’une pour l’autre. Et même s’il s’agissait de Suzan, et bien, le bonheur de mon frère valait bien toute notre bienveillance. Non, mon père n’a pas fait de difficulté. Je pense que pour nous voir mariés, mon père est près à presque tout accepter, je le dis, non sans un surcroit de fierté, son amour paternel n’a aucune limite.

 

 

D’ailleurs, il a été extrêmement déçu lorsqu’il a su que j’avais refusé d’épousé Killian. Mais comprenez-moi. Malgré tout l’amour que j’avais pour Kilian, je ne pouvais pas accepter sans avoir la certitude absolue qu’il pourrait m’accepter telle que j’étais, une scientifique. Une femme indépendante et libre. Et cette certitude, je ne l’ai jamais eu. D’ailleurs, le départ que j’envisageais, me donnait un très bon prétexte pour … Non, pas fuir, ne dites pas de sottise, personne ne peut prétendre que Robyn Loxley a fuit devant quoi ou qui que ce soit. Non. Pour m’éloigner de façon plus ou moins prolongée. Pour réfléchir, en quelque sorte. Mais j’y reviendrai.

 

 

Dans l’après-midi, William vint frapper à ma porte. Je fus on ne peut plus surprise de constater qu’il souhaiter me remercier de l’avoir traité comme j’aurais traité un homme blanc. Comment vous dire… Je ne suis pas naïve, je sais ce que beaucoup de gens pensent des noirs. Mais, pour moi, et c’est sans doute lié à mon éducation, à ce que je suis et à mes convictions féministes, ca n’est pas la couleur de votre peau qui détermine qui vous êtes. Le rapport avec mes convictions ? Et bien, c’est simple. Je veux les mêmes droits que vous. Sans aucune exception. J’estime que j’y ai droit. Pas seulement parce que je suis une scientifique et une intellectuelle. Juste parce qu’au même titre que vous, je suis un être humain. Et je ne vois pas pourquoi, ces droits que je réclame pour moi et pour les autres femmes, je les refuserais à des noirs, des indiens ou que sais-je, qui ne soit pas un homme blanc protestant. D’une oreille distraite, je l’ai ensuite entendu parler de mes travaux. Je pris le temps d’expliquer que je m’intéressais essentiellement à la création d’animaux mécaniques (et évidemment à la mise en œuvre des plans de la machine volante de Léonard). Oh ? Oui, des animaux mécaniques. Vous ne comprenez pas ? Vous ne comprenez pas quoi ? Eh bien, imaginez ce qu’on pourrait faire avec des animaux que vous n’avez pas besoin de nourrir, qu’on ne peut pas vraiment tuer, qui ne se fatiguent pas et qui obéissent à une tâche unique. Evidemment, j’ai pensé à les rendre intelligent, mais la plus grande difficulté, c’était de trouver une substance qui me permettrait de les animer. Un remontoir, c’était trop hasardeux. Eh bien, imaginez que la chouette mécanique que vous envoyez porter un message soit au bout du mouvement de ses rouages au milieu de son voyage…

 

 

Ah oui, Killian. Pardonnez-moi, mon récit est un peu décousu, mais je n’ai pas le talent de ma mère ou de Marian pour raconter une histoire. Je me suis rendue chez lui le lendemain après-midi. J’arrivais pendant ses consultations. Oui, d’une certaine manière, j’ai volontairement choisi un moment qui me permettait d’éviter un affrontement. Non que Killian soit du genre à lever le ton. Mais je savais que s’il en avait le temps, il essaierait de me convaincre de ne pas partir. Et je n’étais pas certaine d’être capable de résister à ses arguments. Vous savez certainement que c’est parfois ce qu’il se passe lorsque vous aimez quelqu’un. Vouloir lui complaire ou ne pas le peiner est facilement un frein à bien des choses. Sauf qu’en l’occurrence, je voulais voir ce ranch. Éventuellement m’y installer. Je voulais un avenir meilleur et plus libre, non seulement pour moi, mais aussi pour Marian et pour Oliver et ce ranch était peut-être ce qui me permettrait d’obtenir le droit de vivre sans sentir le regard de la bonne société peser sur moi, sur mon excentrique petite sœur et sur le gamin des rues dont j’avais fait ma responsabilité. Bien sûr, je lui ai proposé de m’accompagner et croyez-moi, s’il avait accepté, il n’est pas impossible que j’aurais accepté de l’épouser sur le champ. Mais je savais qu’il refuserait. Oh, pour tout un tas de raison. Killian est adapté à son milieu comme peut l’être un lion dans la savane et ca n’est pas un aventurier. Par ailleurs, il me demanda de lui donner des nouvelles régulière, s’inquiétant pour mon sort, ne pensant pas que mon père me suivrait, comptant bien sur le fait qu’il resterait à Londres pour me voir revenir. Et sur le baiser le plus pathétique et maladroit de toute l’histoire du baiser, je quittais cet endroit, le cœur serré et les yeux humides.

 

 

De son côté (rendez-vous compte de l’esprit Loxley en la matière) mon frère se rendit chez Suzan ce soir là. Et là, vous allez rire, je crois. Il fut accueilli par le fiancé de cette demoiselle qui lui ferma la porte au nez après lui avoir expliqué que sa douce ne recevait pas en soirée. Oui, oui, son fiancé. Vous voyez, vous riez ? Mon frère étant un entêté… Non, je ne dirais pas ça. Nous sommes tous obstinés mais disons que je suis celle qui l’affiche le plus, Eddie et Marian sont plus hum… non je ne dirais pas « fourbes ». J’aurais dis « diplomates ».Vous voyez ? Vous riez encore. Bref, mon frère étant entêté, il réussi, en jetant des petits cailloux sur sa fenêtre, à faire sortir Suzan. Et Suzan étant Suzan, la promesse d’un cadeau lui fit accepter une entrevue dans les jours prochains.

 

Le lendemain, Oliver est revenu, avec une tarte pour Elizabeth, cette dernière refusant de savoir comment il l’avait obtenu. J’étais dans le salon avec père et Marian. Nous attendions le déjeuner et j’essayais de convaincre mon père de venir avec moi, d’emmener la petite, l’assurant que quoi qu’il arrive, je partirais. Seule avec Oliver s’il le fallait. J’ai mis dans la balance le fait que nous avions besoin de savoir ce qui était arrivé à oncle Walt. Nous n’avions aucune information, vous voyez ? Maladie ? Accident ? Meurtre ? De plus, ce ranch constituerait l’héritage des enfants de Marian (ou sa dot, si je me décidais à vendre, mais je vous assure que c’était, et de très loin, la dernière option envisagée). Mon père avait cependant raison sur un point. Je ne savais rien de la vie ici, mais honnêtement, c’était cette perspective qui m’enthousiasmait. Pas le danger, non, encore que… Non, ce qui était excitant, c’était la possibilité d’avoir tout à faire et à créer dans un endroit sauvage et vierge. Et où, justement, tout est possible. De plus, je fis valoir que si mon père m’avait voulue moins aventureuse et rebelle, c’était la conséquence de la liberté qu’il m’avait accordée. Et alors qu’Oliver m’interrogeait à propos de ma rupture avec Killian, Marian disparut sur les talons de mon père. Je vous ai dit que cette gamine est pire qu’un chat ? Non ? Oh ? Et bien, outre sa capacité à se faufiler partout sans qu’on la voie, elle est parfaitement capable d’utiliser les mêmes types de stratagèmes pour obtenir ce qu’elle veut. Vous n’avez jamais eu de chat ? C’est un tort, ce sont des compagnons parfait, de vraie merveille d’indépendance et de beauté. Vous n’avez jamais vu un chat venir cajoler son humain de prédilection, à grand renfort de frottement de sa jolie tête soyeuse contre vos doigts avec une quantité incroyable de roucoulades et de ronronnement plein d’amour et d’admiration ? Et bien, c’est comme ca que fonctionne Marian, métaphorique tout du moins. Quand elle ne tyrannise pas ses préceptrices en disparaissant avant ses leçons ou en refusant tout simplement d’apprendre ses leçons. Notez, c’est aussi un fonctionnement très félin. Elle en avait poussé cinq à la démission, cette année là. La dernière l’avait même qualifiée « d’engeance démoniaque ».

 

Et de fait, mon père a cédé, vous savez ? Je pense que la gamine a trouvé comment le convaincre. De ce fait, il a demandé à Mr Blackstone de s’occuper de nos affaires, une fois sur place. Il nous annonça sa décision durant le déjeuner. J’avais invité Oliver à déjeuner à notre table. Le conservatisme qui consiste à exclure le gamin de notre table parce qu’il est… quoi, en fait ? Pauvre ? Orphelin ? D’un monde différent du notre ? Bref, comme vous vous en doutez, cette habitude me révoltait, n’en déplaise à Jaspers. D’ailleurs, mon père semblait prêt à tenter de me dissuader de l’emmener (alors que je vous le rappelle, nous allions prendre possession de mes terres, quelque soit la raison pour laquelle j’en héritais, il s’agissait de la terre que mon oncle bien-aimé me léguait et je refuser d’insulter sa mémoire en ayant pas conscience du don qu’il me faisait). Oui, Oliver. Je devrais payer son billet me dis mon père. Et lui faire un contrat. Et, je fus scandalisée qu’il puisse supposer que ca n’était pas le cas, lui verser un salaire. Croyait-il que j’exploitais un orphelin ? Mais oui, évidemment que je le payais, qu’allez vous imaginer ? Et je l’aurais payé même s’il n’avait pas été utile à mon travail. Après avoir essayé de me contrarier, mon père décida qu’il était temps d’asticoter mon frère. Comment se faisait-il que ce dernier utilise le nom de Will Scarlett pour ses affaires. N’était-il pas fier de notre nom ? Ah, vous vous demandez ce que j’en pensais ? Eh bien, non seulement j’étais d’accord avec mon père, mais en plus, et je crois toujours mon instinct, je sentais, jusque dans la moelle de mes os, que ça cachait quelque chose. Et ce quelque chose ne me plaisait vraiment pas, vous voyez ?

 

Cet après-midi là, mon dandy de frère avait envoyé Oliver porter un billet à Suzan pour l’inviter à une promenade dans un parc. Evidemment, Suzan n’a pas manqué de faire savoir qu’elle préférait que ses prétendants viennent à elle. Ceci dit, vous imaginez aisément que la perspective d’un cadeau facilitait son pardon. Bien sûr que vous voulez savoir ce dont il s’agissait. Et bien mon frère avait conçu et fabriqué une robe exprès pour elle. Vous savez ce qu’elle a fait ? Elle lui a montré la bague offerte par son fiancé, en précisant que ca avait deux fois la valeur de la robe. Puis, alors que mon frère lui faisait une déclaration d’amour, lui demandant de l’épouser et de l’accompagner en Amérique, elle répondit qu’elle acceptait à la condition qu’il fournisse toute une garde-robe à son intention, précisant qu’il serait « à l’essai » et que ce départ n’impliquait aucune promesse de mariage. Ah ! Vous voyez, vous commencez à comprendre mon frère. Il a en effet accepté. Et vous savez le plus drôle ? Il était ravi, ne doutant en aucune façon à la possibilité qu’elle trouve un meilleur parti.

 

De mon côté, j’accompagnais Oliver qui voulait me montrer quelque chose dans l’endroit qui lui servait d’habitation, un grenier poussiéreux dans une maison en ruine. Il possédait une quantité incroyable de livres et souhaitait en amener une bonne partie mais s’inquiétait que quelqu’un puisse deviner qu’il en avait volé une partie. Je ne vous ai pas dis ? Oliver a quelques tendances kleptomanes (mais j’imagine qu’il aime aussi beaucoup voler pour le plaisir de la performance). Je lui expliquais que nous ne pourrions pas tout amener mais que je pensais sincèrement que personne n’avait le droit de lui contester le droit de posséder des livres. J’en profitais cependant pour mettre certaines choses au clair. En Amérique, beaucoup de gens possédaient des armes. Nous partions sans médecin, il était hors de question qu’il se mette en danger en volant quoi que ce soit. C’est pour ça que je le mettais sous les ordres de Jaspers pendant la traversée et le reste du voyage. J’ajoutais que ne tolèrerais pas d’écart.

 

 (La suite, jeudi prochain, si vous êtes sages)

 

Retour à l'accueil